La lune passe dans le ciel, sainte, limpide !
Tes grands yeux regardent le feuillage, s'y plongent,
Sur la voute sereine des astres naissent, humides,
Ton coeur est plein de désirs, ton front lourd de songes
Des nuages glissent et des rayons les transpercent.
Les maisons vers la lune lèvent d'anciens auvents.
Dans la brise légère le balancier du puit grince.
Le vallon fume. Dans un enclos une flûte s'entend.
Des hommes harrasés, l'épaule alourdie,
Rentrent des champs. Les sonnailes sonnent, se pâment
Ainsi que la cloche antique dans l'air assoupie.
Mon âme brûle d'amour comme une flamme.
Bientôt se calmeront le vallon, le village.
Bientôt mes pas fébriles vers toi seront plus pressés.
Toute une nuit, près du tronc couvert de branchages,
Je te dirai combien tu m'es chère, ma douce Bien Aimée.
En appuyant nos têtes, l'une contre l'autre,
Souriants nous dormirons, veillés par notre
Vieil acacia... Et pour une nuit si riche et plénière
Qui ne donnerait, en échange, sa vie toute entière... ?
1870 - traduction : Michel STERIADE
Fleur bleue
Haut perché dans ton ciel gris !
Pour un peu, et tu m'oublies,
Source douce de mon âme !
Des ruisseaux dans le soleil
Et toute la plaine assyre
En ta tête en vain se mirent;
Imaginaires merveilles !
Le bonheur est là, plus près...
Au sommet des pyramides
Vainement, o, mon candide
Nien Aimé, le chercherais..."
Ainsi jadis parlait-elle,
La si douce, si petite;
Mots charmants qui ressuscitent
Notre histoire bleue et belle.
"Viens mon bien-aimé, là-bas,
Là où cette immense roche
Au-dessus du gouffre accroche,
Prête à choir, et ne choit pas.
Près ce frais sous-bois tout deux
Resterons assis sur des
Vertes feuilles de mûrier
Sous la claire voûte bleue.
Tu m'expliqueras des mythes,
Contes bleues et aventures !
Moi, tout près dans la verdure,
Compterai la marguerite.
Le soleil, docteur ès feux,
Saura m'embraser tout comme
Il a su rougir les pommes
Et dorer mes longs cheveux.
Avec eux je boucherai
Ta bouche pour la punir
De trop bien savoir venir
sur la mienne se poser.
Un baiser si tu prendras
Lorsque passe entre les branches
Un filet de lune blanche
Qui nous voit ? Et qui saura ?
Nous aurons de longs baisers,
Aussi longs que notre route
De feuillage arqué en voûte,
Aussi doux que fleurs cachées.
Arrivés au seuil des portes
Nous nous dirons dans le noir
Les exquis secrets du soir;
Quand au monde, bah ! qu'importe."
Puis elle s'enfuit muette,
Me laissant seul dans la brume,
Seul, debout contre la lune,
Avec ma fleur bleue en miettes.
Tu partis, douce merveille !
Et partirent nos amours !
Fleur bleue, ma fleur d'amour,
Tout s'éteint sous le soleil...
1873 - traduction : D. I. SUCHIANU
Conte de fées
Sourdent de la lune qui
Très soigneusement les pose
Sur les eaux, sur les prairies.
Les fleurs toutes s'y assemblent
Pour se dire des histoires,
Et agraffent des topazes
Sur la robe des nuits noires.
Près du lac, où les nuages
Ont tissé ombres légères
Que les vagues rompent comme
rondes mottes de lumière,
Une enfant regarde l'onde,
Elle appelle un cher visage,
Et des roses jette rouges,
Car l'envoûte du rivage
Et le lac ensorcelé
Et les saules sont soumis
A la douce, à la très-sainte
Notre-Dame-du-Lundi;
Et l'enfant appelle encore,
Et des roses jette blanches,
Car ici commande et charme
Notre-Dame-des-Dimances...
Le grand lac reflète en feux
De l'enfant la douce face;
Et dans ses deux grands yeux bleus
tous les contes bleus s'amassent.
1876 - traduction : D. I. SUCIANU
Le Lac
En nénuphars jaunes abonde.
Il ébranle une barque,
Au frisson des blanches rondes.
Moi, je passe le long des berges
A l'écoute, comme m'attendant
Qu'Elle par les roseaux s'amène,
Et dans mes bras retombant,
Que l'on saute dans la petite barque
Puis, au son des vagues berçantes,
Que je laisse la gouverne
et les rames seules glissantes;
Que l'on vogue sous le charme
De la douce clarté lunaire -
Que les joncs se mettent à bruire,
Qu'ondoyante résonne l'eau claire !
Elle ne vient pas et je pleure,
Et je souffre, seul au monde,
A côté du lac bleuâtre
Où les nuphars jaunes abondent.
1876 - traduction : Véturia DRAGANESCU-VERICEANU
Les fois où, mon aimée...
Un océan de glace, devant mes yeux s'avance
Et sur la voûte blanchâtre, aucune étoile, aucune.
Au loin, comme une tache, on voit la jaune lune.
Dessus les mille vagues, glacées, de neige couvertes
Un pauvre oiseau survole, peine en ses ailes ouvertes,
Pendant que sa compagne s'en va disparaissant
Avec le groupe des autres, tout droit vers le couchant.
Il souffre et sur ses traces, de longs regards il jette;
Il n'est ni gai, ni triste, plus rien; sa mort est prête,
Aux ans passés il songe alors, dans un instant.
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Toujours plus loin nous sommes, ,tous deux nous éloignant;
Toujours plus seul, plus sombre, de glace je deviens.
Quand tu t'en vas te perdre, dans l'eternel matin.
1876 - traduction : Véturia DRAGANESCU-VERICEANU
Que quelqu'un frappe à ta porte tu redoutes,
Le temps s'écoule en douces babioles;
Toi, près du feu, tu rêves, tu somnoles,
On nest bien mieux lorsque la neige dégoutte.
De même, dans mon fauteuil assis, je rêve.
De Dokia, le très vieux conte s'entr'ouvre;
Autour de moi, la brume grossit sans trêve;
Soudain, le bruit d'une robe que je découvre,
Celui d'un pas léger, à peine s'élèvent...
Et des mains froides et fines mes yeux recouvrent.
1879 - traduction : Véturia DRAGANESCU-VERICEANU
Reviens pour m'inspirer des mots encor plus doux.
Que ton regard descende sur moi, enveloppant,
Qu'en son rayon ma vie s'écoule, calmement,
Et que ma lyre entonne des chants nouveaux et doux.
Tu ne sauras jamais combien ton approche
Calme mon coeur meurtri, le calme en profondeur,
Tel une étoile au soir, dans le silence proche...
Et lorsque je te vois sourire, enfant sage,
Toute ma vie de douleurs s'estompe et davantage
Mon âme se dilate, mon regard brûle plus fort !...
La force de la nuit la rendras-tu plus sereine
Avec tes grands yeux porteurs de paix... ? Elève -
Toi des ombres du temps afin que tu viennes
Vers moi, que je te voie venir, comme dans un rêve...
Descend tout doucement, plus proche encor, plus proche,
Sur mon visage triste en souriant te penche,
Par tes soupirs l'amour se fasse deviner...
De tes cils touche enfin mes paupières éteintes,
Fais-moi bien ressentir le frisson de l'étreinte,
Ô, toi, éternellemnt perdue et adorée... !
1879 - traduction : Michel STERIADE
Revoir
Car longs jours se sont enfuis
Depuis jour où ne t'ai vu
Et moult' terre parcourus.
- Que puis-je faire sinon
Ecouter l'hiver qui rompt
Tous mes troncs et mes feuillages,
Ecouter l'ami l'orage
Mes ruisseaux bouchant,
Ensevelissant
Les sentiers en blanc
Et tous mes vieux chants.
Et je fais encore ci
Besogne que toujours fis :
Par les jours d'été j'écoute
Chantant clair à travers routes
Femmes au cruchon,
Piquant leur jupon
S'en venant de l'eau
Fraîche du ruisseau.
- Jours s'en vont, jours s'en reviennent,
Toi, mon bois, de ton ancienne
Jeunesse sans cesse sors
Jeunesse plus neuve encor !
- Que me chaut si jours me passent,
Quant toujours à même place,
Etoiles, bon an mal an,
Luisent claires sur l'étang
Et si, bon ou mauvais jours,
Olth me coule, Pruth me court.
Seul l'homme est changeant
Sur terres errant,
Cependant que nous, céans
Restons ci, comme devant :
Terres et rivières,
Mondes et déserts,
La lune et les ourses,
Le bois et les sources.
1879 - traduction : D. I. SUCHIANU
O, mère...
Tu m'appelles vers Toi par le vert bruissement
Des acacias perdant leurs feuilles, avec détresse,
Sur le caveau noir et saint de Ta sépulture.
Leurs branches en se touchant avec Ta voix murmurent.
Ils frémiront toujours, Tu dormiras sans cesse...
Ne pleure pas, Chèrie, lorsque je mourrai,
Mais romps un beau rameau au tilleul sacré
Et, le plantant à l'endroit de ma tête, laisse,
Couler sur lui tes larmes amères et fécondes.
Un jour je sentirai qu'il ombrage ma tombe...
Dans l'ombre grandissante je dormirai sans cesse...
Mais, s'il fallait ensemble que nous mourrions, un jour,
- Point de lieu triste, avec des murs autour -
Qu'au bord d'une rivière on nous ensevelisse,
Dans un même coffre, tous deux, comme avant,
Pour te sentir très proche, éternellement...
L'eau pleurera toujours, nous dormirons sans cesse...
1880 - traduction : Michel STERIADE
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Par les murs, parmi les arbres qui laissent tomber leurs fleurs,
Combien la pleine lune déverse de calme splendeur !
de la nuitdes souvenances, elle, milliers d'ardeurs ramène,
Engourdie est leur souffrance, comme en rêve on sent leur peine;
Car dans notre monde intime, de l'entrée elle pousse les portes
Et quand les lumières s'éteignent, des ombres par mille en sortent...
Mille et mille déserts scintillent dessous ta clarté vierge,
Et combien de bois dans l'ombre, des éclats de sources protègent !
Sur les mille et mille vagues, tu arrives dominante
Quand tu glisses sur la marine solitude ondyante !
Et tous ceux qui dans ce monde sont sous le pouvoir du sort
C'est ton rai qui les domine et le génie de la mort !
1881 - traduction : Véturia DRAGANESCU-VERICEANU
Vers mes bras tendus cours vite,
Sur mon sein te laisse tomber,
Que je puisse défaire ton voile,
Du visage l'écarter.
Et sur mes genoux assise,
Seuls au monde nous resterons,
Du tilleul, toutes frémissantes,
Les fleurs sur toi glisseront.
Ton front blanc aux boucles blondes,
Sur mon bras tu pencheras
Et ta bouche aux douces lèvres,
La proie de ma bouche sera...
Nous ferons le si beau rêve,
Où s'emmêlent fredonnant,
Chants de sources solitaires,
De légers souffles du vent.
Endormis par l'harmonie
Du grand bois lourd de pensées,
Du tilleul, les fleurs en files,
Sur nous viendront s'amasser.
1876 - traduction : Véturia DRAGANESCU-VERICEANU
Les fleurs toutes s'y assemblent
Pour se dire des histoires,
Et agraffent des topazes
Sur la robe des nuits noires.
Une enfant regarde l'onde,
Elle appelle un cher visage,
Et des roses jette rouges,
Car l'envoûte du rivage
Et le lac ensorcelé
Et les saules sont soumis
A la douce, à la très sainte
Notre-Dame-du-Lundi;
Et l'enfant appelle encore,
Et des roses jette blanches,
Car ici commande et charme
Notre-Dames-des-Dimanches...
Le grand lac reflète en feux
De l'enfant la douce face;
Et dans ses deux grands yeux bleus
Tous les contes bleus s'amassent.
1876 - traduction : D. I. SUCHIANU
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La foi revêt de saints les murs des basiliques -
Aussi m'emplit-elle l'âme de contes féériques,
Mais, vagues de la vie passant, et ses orages,
Ne restent que les ombres des anciennes images.
Dans mon cerveau ce monde en vain le chercherais-je,
Car une cigale rauque y fait des sortilèges :
En vain ma main se pose contre mon coeur désert, -
Il ronge comme ronge, dans le cercueil, un ver.
Et il me semble, lorsque je pense à ma vie,
Qu'une bouche étrangère m'en conte le récit,
Que c'est la vie d'autrui, que je n'aie pas été.
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Qui donc me la raconte par coeur ? A l'écouter,
Je ris de mes douleurs, qui ne sont plus à moi ...
C'est comme si j'étais mort depuis longtemps déjà.
La lune passe dans le ciel, sainte, limpide !
Tes grands yeux regardent le feuillage, s'y plongent,
Sur la voûte sereine des astres naissent, humides.
Ton coeur est plein de désirs, ton front lourd de songes.
Des nuages glissent et des rayons les transpercent.
Les maisons vers la lune lèvent d'anciens auvents.
Dans la brise légère le balancier du puit grince.
Le vallon fume. Dans un enclos une flûte s'entend.
Des hommes harassés, l'épaule alourdie,
Rentrent des champs. Les sonnailes sonnent, se pâment
Ainsi que la cloche antique dans l'air assoupie,
Mon âme brûle d'amour comme une flamme.
Bientôt se calmeront le vallon, le village.
Bientôt mes pas fébriles vers toi seront plus pressés.
Toute une nuit, près du tronc couvert de branchages,
Je te dirai combien tu m'es chère, ma douce Bien Aimée.
En appuyant nos têtes, l'une contre l'autre,
Souriants nous dormirons, veillés par notre
Vieil acacia... Et pour une nuit si riche et pleinière
Qui ne donnerait, en échange, sa vie tout entière... ?
1872 - traduction : Michel STERIADE
Si les étoiles, éclairer
Le fond du lac, s'en viennent,
C'est que ma peine soit apaisée
Par des pensées sereines.
Si les nuages épais glissant,
La lune se révèle,
C'est que toujours, en t'évoquant,
A moi tu te rappelles.
1883 - traduction : Véturia DRAGANESCU-VERICEANU
A peine le tapis tu frôles,
La soie résonne sous tes pas
Et de la tête aux pieds, légère,
Pareille au rêve qui flotte tu vas.
Des draperies de ta robe longue
Telle que le marbre tu surgis -
Mon âme s'accroche aux yeux humides
De larmes et de bonheur remplis.
Ô, songe des amours heureuses,
Toi, mariée d'un conte de fées,
Ne souris plus, car ton sourire
Me montre combien douce tu es,
Combien tu peux d'une nuit de charmes
Mes yeux assombrir à jamais
Et de ta bouche aux chauds murmures
Et de l'étreinte de tes bras frais.
Soudain une idée passe,
Un voile sur ton regard brûlant;
C'est l'ombre des désirs si tendres,
C'est bien le noir renoncement.
Tu pars et je t'ai bien comprise,
Perdue pour toute l'éternité
Tes pas je ne veux pas les suivre,
Toi, de mon coeur, la mariée !
Que je t'aie vue, c'est bien ma faute
De moi toujours non pardonnée.
Pour expier mon rêve-lumière
En vain la main droite je tendrai.
Je te verrai comme une icône
De la très pure vierge Marie,
Portant sur ton front la couronne.
Quand viens-tu ? Où es-tu partie ?
1879 - traduction : Véturia DRAGANESCU-VERICEANU
Cette douleur cruelle, de mon bonheur éteint
Pourquoi ne pas l'éteindre et la garder sans fin ?
Quand le ruisseau chantonne toujours renouvelé,
Pourquoi tant de constance, dans le regret passé,
Si tels qu'un songe d'ombre nous devons tous glisser,
Tels que l'ombre d'un songe ce monde traverser ?
Pourquoi donc, par la suite, t'occuper de mon sort
Et compter les années qui volent sur les morts ?
Qu'importe que je meure aujourd'hui ou demain,
Quand je veux disparaître de tout esprit humain,
Et veux que tu oublies notre bonheur rêvé ?
En remontant la file de ce temps écoulé,
Qu'elle soit noire l'ombre où nous aurons plongé,
Comme si nos rencontres n'eussent pas existé
Et que ce temps superbe, d'ardeur fût dépourvu -
Pardonneras-tu chère mon amour éperdu ?
La face au mur me laisse parmi les étrangers
Pour que sous ma paupière mon oeil soit tout glacé,
Et lorsque dans la terre la terre rentrera,
D'où je viens et qui suis-je, qui est-ce qui le saura ?
Par les murailles froides, des chants plaintifs, l'écho,
Demandera la grâce de l'éternel repos;
Je veux qu'alors vienne quelqu'un à mes côtés
Et que ton nom murmure sur mes yeux fermés.
Puis, au bord de la route me jette qui voudra...
Bien mieux qu'à cette heure pour moi il en sera.
Que des corbeaux, la bande, de tout au loin venue,
Tout le ciel noicisse sur mes yeux sans vue.
Soudain paru, l'orage, s'abatte en donnant
Mes cendres à la glèbe et tout mon coeur au vent...
Mais toi, tout en fleur reste, comme un avril serein,
Aux grands yeux humides, au sourire enfantin.
Si jeune que tu fusses, toujours plus jeune sois
Et rien de moi ne sache, comme je n'en saurai, moi.
1879 - traduction : Véturia DRAGANESCU-VERICEANU
Okèanos sur les canaux se plaint sans cesse.
Lui seul est jeune, éternellement jeune au monde;
Cognant les murs anciens, sonnant fort de ses ondes,
Il aurait bien voulu ranimer sa maîtresse.
Mais un tombal silence régne dans la ville.
Comme un pontif resté de temps invétérés,
San Marc, sinistre, bat les coups de minuit.
Avec cette profonde voix d'une Sibylle,
Il se prononce en des secondes cadencées :
"En vain ! Les morts ne ressuscitent pas, petit !...
1883 - traduction : Al. VITIANU
1883 - traduction : D. I. SUCHIANU
De si loin, plus loin encore
Assourdi, si assourdi
Sur mon âme qu'adoucit
Un exquis désir de mort.
O ! pourquoi ta voix se tait
Quand mon coeur cherche ta route ?
Sonneras-tu, douce envoûte,
De ton cor, pour moi, jamais ?
1883 - traduction : D. I. SUCHIANU
Rien que des eaux, leur soupir.
Noire, la fôret se tait.
Et les fleurs se sont couchées,
Dors en paix.
Parmi les joncs, de dormir
Le cygne a l'envie pareil;
Que les anges te soient près,
Doux sommeil...
Et la lune s'élevant,
Tout repose maintenant
Dans le rêve et l'harmonie.
Bonne nuit !
1883 - traduction : Al. VITIANU
Pourquoi t'agiter, grand bois ?
- Comment donc ne pas ployer
Si mon temps s'est écoulé ?
Jours petits, nuits qui grandissent,
Mon feuillage l'éclaircissent.
Par mes feuilles le vent s'il passe,
Tous mes bons chanteurs les chasse.
Bise, qui de côté m'empoigne,
Vient l'hiver, l'été s'éloigne.
Comment ne pas me pencher,
Voyant les oiseaux passer ?
Au dessus de mes ramelles,
Passent des vols d'hirondelles,
Prenant ma chance avec elles;
Et mes pensées sur leurs ailes.
Tour à tour, elles s'en vont,
Obscurcissant l'horizon.
S'en vont comme les instants,
Leurs ailerons secouant.
Et me laissent appauvri,
Tout fané et engourdi,
Avec mon regret cuisant,
Lui tout seul m'accompagnant.
1883 - traduction : Véturia DRAGANESCU-VERICEANU
1883 - traduction : D. I. SUCHIANU
Que nul ma mort ne pleure,
Hormis, monotone,
Le triste glas mineur
Des feuilles d'automne.
Qu'un clair ruisseau fouette
Ses eaux une à une
Pendant que la lune
Glisse de crête en crête.
Que sons de sonnaille
Pénètrent le vent
Et qu'un tilleul géant
Recourbe sa taille.
Avant de finir
Je veux que m'engloutissent
Et que m'ensevelissent
Les chers souvenirs.
A nouveau souriront
Etoiles amies
Par à travers les longs
Feuillages flétris.
Et à l'heure du linceul
Je resterai là,
Poussière en au-delà,
Immensément seul.
1883 - traduction : D. I. SUCHIANU
De tant d'oiseaux dont le passage
peuple le ciel de vols fuyants,
combien mourront loin du rivage
sous les flots bleus, sous les autans ?
Ah, que tu chasses la fortune
ou l'idéal mystérieux,
ils te suivront, sans trêve aucune,
tous les autans, tous les flots bleus.
Redite encor, jamais comprise,
l'âme éternelle de ton chant,
vole à jamais, toujours reprise
par les flots bleus, par les autans.
1880 - traduction : Annie BENTOIU
Et moi, par la fenêtre, je te vois :
Toi, tu regardes, les yeux dans la lumière.
La vague d'or des nattes, à la défaire,
Tes fines mains ont fatigués déjà.
Tu l'as jetée sur tes épaules frêles
Et, en rêvant, tu ouvres ton corsage,
Tu lèves doucement et souffle la chandelle...
Mes yeux demeurent dans le noir; là-haut,
Etoiles scintillant par le branchage...
La lune triste luit dans les carreaux
Je n'en peux plus; ma flamme fond la cire
Du vain cachet qui cèle mon dessein;
Aussi veux-je brûler aux flammes de ton sein,
De l'âme qui me sait et me désire.
Mes lèvres et mes yeux de fièvre torturés
Les vois-tu donc, pour m'en guérir, ma reine,
Ma douce enfant aux longs cheveux dorés ?
Tu rafraîchis mon front de ton haleine,
Et ton sourire enivre ma pensée.
Ô viens contre mon coeur... ôte ma peine.
Qui déridaient mon jeune front naguère,
Riches de sens cachés, saisies à peine -
En vain tes ombres à présent me prennent,
Ô, doux couchant, heure du mystère.
En vain je prends mon luth et le caresse
Pour ranimer un son des jours passés,
Pour m'arracher à mon sommeil funèbre;
Tout est perdu, au loin, dans la jeunesse,
La douce voix d'un autre âge se tait,
Le temps m'ensevelit... je m'enténèbre !
Mais des ténèbres froides, comment t'en arracher,
Pour que l'on soit ensemble, cher ange adoré ?
Je veux que mon visage sur le tien se couche,
Sous mes baisers ardents j'étoufferais ta bouche,
En réchauffant ta main frileuse sur mon coeur
En la tenant plus près, plus près de moi encor...
Mais tu n'es pas du monde d'ici-bas, hélas !
Et tu te perds, - une ombre dans le brouillard de glace,
Et moi je reste seul, les mains pendantes, vides
Ne retenant du rêve qu'un souvenir languide...
En vain mes bras se dressent pour te saisir, chère ombre :
Des flots du temps passé je ne peux pas te rompre
Ne laisse pas s'éteindre comme un cierge
Mon espérance, - exauce ma prière
Même si la faute est à moi entière;
Que ton regard m'apaise et me protège.
Mis à l'écart, perdu dans la détresse
De mon néant, je ne crois plus à rien
Et mon ardeur, ma force, ont tari.
Redonne-moi la foi et la jeunesse,
De ton ciel d'étoiles réapparais, reviens
Afin que je t'adore à jamais, Marie !
Si mes enfants en sont le point de mire, -
Qu'il fasse donc, je n'en fais pas un drame;
Ce que je crains - autant que je réclame -
C'est ton avis, ma mie, non pas leurs dires.
L'amour avec la mort sont ennemis :
Fidèle à la seconde, je l'ai cherchée souvent,
Mais tu m'en détournas, ma chère enfant
Tu as gagné et regagné ma vie -
Alors ses chants et fruits, te les devant,
Je te les offre tous : de même que celui-ci !
Ainsi soit-il, - ma muse reste calme.
Je n'ai qu'un compagnon, mais doux, intègre,
Je lui dédie toujours mes vers allègres, -
Des chants que ne comblèrent pas les palmes.
Quand elle se penchera sur mes ébauches
Elle va juger et rajuster mes vers :
Là, un qui traîne, l'autre - là - qui cloche...
Ainsi découvre-t-elle mon univers,
Sur l'arche de mes songes elle s'approche
Et dans mon âme la sienne se perd.
Pourquoi ta voix se glace dans la nuit ?
Ton corps exquis, - ô, souriante Eve -
Qui fut à moi une heure, unique et brève, -
Le reverront-ils donc, encor mes yeux tout éblouis ?
Toi, blonde chance d'une rêverie fugace,
Toi, rêve blond d'une chance illusoire,
Si tu reviens, ne l'attends pas, - ma grâce !
Je vais te sermonner, et pour le croire -
Il faut, ma douce amie, que je t'embrasse
Et te caresse à perdre la mémoire.
Mais, sans se rendre, elle changea de place
Tirant son doux visage en arrière;
Ses yeux, en me guettant, me demandèrent :
Qu'elle me permette ou non que je l'embrasse ?
Elle n'en finit jamais de ces caprices,
Plus on la prie, plus elle s'arrache et glisse,
Quoiqu'à la fin... elle ne soit pas si ferme.
Ces doux refus que la beauté oppose,
Combats agrémentant les jours moroses,
Je les chéris, car j'en connais le terme.
......................................................................................................
Si aujourd'hui, pour toi, esclave de tes charmes,
Je change en joyaux chacune de mes larmes,
Si je te vois surgir pareille au marbre clair
Aux yeux resplendissant d'une froide lumière
Qui éblouit mon oeil de sorte qu'il ne voie,
Dans leur profonde nuit, tes songes d'autrefois,
Aujourd'hui, lorsque ma famme est aussi pure
Que cette auréole de charme qui t'entoure,
Que l'éternelle soif qui réunit sitôt
Lumière et ténèbres ou marbre et ciseau,
Quand ma passion est si profonde et sincère
Qu'elle n'a pas sa pareille entre ciel et terre,
Quand j'aime tout, mais tout ce qui t'appartient,
Un rire, un frisson, le mal et le bien,
Lorsque l'énigme même de mon destin c'est toi...
Je vois à tes paroles : tu ne me comprends pas !
Je n'en demande que le froid cercueil,
Un long repos après mon long calvaire -
Plutôt qu'aimer sans chance, je préfère
Que la camarade ferme à jamais mon oeil.
Car notre monde n'est qu'une géhenne :
Ses flots - une torture, ses pensées - écume,
Les charmes de la vie en dissimulent les peines.
Je ne t'ai vue qu'une fois - et l'amertume
Du monde m'a comblé, en souveraine...
L'ai-je donc mérité, ce mal qui me consume ?
Tu exhortas à l'oeuvre ton faucheur;
Des vies en gerbes, telle est sa récolte;
Tu affrontas pour lui tant de révoltes,
Mais tu réchauffes un traître sur ton coeur.
Au ciel t'élève une envie fatale,
Car de tes lords assassinés tu sais
Faire à Fabiano échelle triomphale.
Mais tu es reine, et ceci te plait.
Celui qui sous ton front de cire pâle
Voit la tempête de ta vie - se tait.
Mais dis-le moi, enfant rêveuse : - si
J'ai fait de toi mon astre sur la terre,
Pourquoi leurs rangs pour moi se refermèrent
Et ce qu'ils prennent, - tu me l'interdis ?!
J'étais perdu dans l'ombre engourdie,
Mes jours déserts passaient comme une écume,
J'étais aveugle aux charmes de la vie...
Mais je t'ai vue... une fois... et l'amertume
Du monde m'a percé le coeur... Depuis
Je l'ai entier, ce mal qui me consume.
J'entrai aussi. Je ralentis mes pas.
J'essaye un vers avec ma plume brute
Et pose sur la table une feuille en déroute
Dont même le Parnasse n'en rêve pas.
Pour te ressouvenir les fêtes d'autrefois,
Tu veux que j'y écrive, que j'y signe.
De tous tu fauches une gerbe - C'est ta proie,
Puis tu revois les feuilles, et tu clignes
De l'oeil, en te moquant de nos tournois,
De la bêtise clouée en quelques lignes.
Ecrire ce que l'on pense - nous le dûmes,
Mais tu n'as rien de neuf à dire, Oreille,*
De Pantazi tu es l'image pareille,
Ses vieilles bourdes, toi, tu les rallumes.
Ton front me semble un piètre emballage,
Et tes écrits - du vent, et de la crotte,
Les dieux, hélas ! ont déserté tes pages.
L'esprit est creux derrière tes parlotes :
Tu bats sa paille sèche avec rage
Mais rien ne sort d'une tête de linotte !
* V. A. Urechea (en français Oreille), adversaire littéraire et politique de Mihai Eminescu.
traduction : Emanoil MARCU
Ils laissent bouche bée la populace
Qui les regarde faire les élégants,
Frisés, et long cigare entre les dents...
La vie - c'est le corso, pour ces paillasses.
Piliers de cabarets et de bordels,
Ils font les saltimbanques, ils nasillent,
Mais pas un seul à l'oeuvre ne s'attelle.
Et cette marchandise de pacotille, -
Eux, qui ont oublié leur langue maternelle,
Se croient étoiles au ciel de la patrie.
Les étendards en vibrent et bourdonnent -
passions et haines se réveillent, dures -
Mais il nous fait parler d'une voix si pure
Lorsqu'à l'Amour timide on s'abandonne.
Je ne sais pas s'il est de notre monde;
Si l'on entend en lui le son des ondes,
S'il les mérite, donc, mes ronds de jambe -
Je ne le sais juger ni le comprendre...
Mais le plus riche des vers, pudique et tendre,
Et fort - s'il le voudra - c'est toujours l'ïambe.
En vain le ciel appelle à sa rescousse
Les foudres effrayantes, car l'océan, sauvage,
Prenant l'azur pour un sien rivage
Y monte à l'assaut et se courrouce.
Blessé par les éclairs, enfin il s'amollit
Et un zéphir l'endort avec un conte;
En rêve - le ciel se penche sur son lit
Et tout ce qu'il rêvait, il l'a sans faute :
La voûte, les étoiles, la lune d'or poli...
Il dort en murmurant - et murmurant sursaute.
Demain - elle fait bouger les noires ondes,
Et dans sa rage elle écume et râle,
Ses mille bras se dressent pour une fatale
Etreinte aux rivages qu'elle inonde.
Un jour - déluge, l'autre - doux murmure,
Une harmonie sans bornes, fantastique, -
Telle est sa sombre, ténébreuse nature,
Telle reste l'âme de la mer antique.
Et sans daigner nous regarder, elle dure -
Indifférente, infinie, unique !
Devant nous passent bien des choses,
Notre ouïe beaucoup percutent.
Qui dans la tête se les pose ?
Qui resterait à l'écoute ?
De côté te range tranquille,
A te retrouver t'entraîne,
Lorsqu'en de vains bruits défilent
Temps qui fuit, temps qui s'amène.
Que ni la raison n'incline
L'aiguille de sa froide balance
Vers l'instant changeant sa mine
Pour le masque de la chance,
Qui de son trépas va naître;
Dure peut-être une seule minute.
Pour qui sait les choses connaître,
Toutes sont vieilles, nouvelles sont toutes.
Spectateur comme au théâtre
Dans la vie te considère :
Que l'un interprètre même quatre
Son visage pour toi s'avère.
Et s'il pleure, s'il cherche querelle,
Tu t'amuses et vois sans peine
Tout ce que sont art recèle,
Mal ou Bien, quelle est leur veine.
Avenir, Passé, s'induisent,
D'une seule feuille sont les deux faces,
Du début peuvent voir les traces
Dans la fin, ceux qui s'instruisent;
Choses qui furent ou qui vont être,
Au présent on les a toutes,
Leur vanité pour connaître
T'interroge, calcule le doute.
Car les mêmes moyens régissent
Tout ce qu'ici bas existe,
Depuis tant d'années qui glissent,
Il est gai, le monde, et triste;
D'autres masques, jouent la même pièce,
D'autres bouches, la même gamme rendent,
Tant de fois dupé, toi, laisse,
N'espère pas, ni n'appréhende.
N'espère, quand les misérables
Vers la gloire des ponts lancent,
Te dépassent niais minables,
Même si tu n'es que brillance;
Calme-toi, à nouveau impliquent
L'un de l'autre la disgrâce,
Ne te mêle pas à leur clique;
Une vague, comme vague passe.
En chantant, tel qu'une sirène,
Le monde tend des rêts qui brillent,
Pour changer d'acteurs en scène,
Il attire et entortille;
Toi, de côté, les évite,
Qu'insensible tu te rendes
Si pour que ta route tu quittes
On t'incite, on te demande.
Blessé, met-toi en réserve,
Bafoué, tes mots ravale;
Tes conseils à quoi leur servent
Quand tu sais bien ce qu'ils valent ?
Tous sont libres de médire,
Qui voudra, par ce monde passe;
Qu à aimer, rien ne t'attire,
Pour toutes choses reste de glace.
Pour toutes choses reste de glace,
On t'incite, on te demande;
Une vague comme vague passe,
N'espère pas, ni n'appréhende;
T'interroge, calcule le doute
Mal ou Bien, quelle est leur veine;
Toutes sont vieilles, nouvelles sont toutes :
Temps qui fuit, temps qui s'amène.
traduction : Véturia DRAGANESCU-VERICEANU
Donc mille voies se valent tout autant.
Sois saint ou scélérat, ce que tu goûtes,
Tout est poussière, et de tous, de toutes,
Va hériter l'oubli, et le néant.
Je rêve que je me meurs... ils sont déjà dehors
Ceux qui attendent, sombres, qu'on m'enterre...
J'entends des chants, je vois des torches encor...
O, viens plus près, approche, ombre chère,
Juste au-dessus de moi, belle ange de la mort
Aux ailes noires, aux fraîches paupières.
Elles coulent en douceur, se jettent en cascades
Creusant dans le roc leur lit tortueux;
Si change en route le décor sous les yeux,
La vie est unique, sous mille façades
Mais plus elles descendent, plus leur voix baisse,
Dévale l'échelle des sons et s'altère,
De plus en plus se chargeant de tristesse.
Et quand elles débouchent dans la mer amère,
- Fleuve grondant, aux ondes épaisses, -
Leur douce voix d'antan, déjà elles l'oublièrent